A l’école du confinement
Par Maurice Johnson-Kanyonga, expert en Education – Le Labo
Nous sommes en guerre !
C’est ainsi que le Président français entamait son discours du 16 mars dernier évoquant le front, la première ligne et la mobilisation de tous face à un ennemi invisible et planétaire.
Étrange vocabulaire guerrier pour le président d’une génération qui n’a connu aucun conflit depuis la naissance de l'Union européenne, aux premières heures de la Guerre froide.
Du containment au confinement
A l’époque du rideau de fer, quand les Etats-Unis imposait le containment dont l’objectif était d’endiguer la progression virale du modèle soviétique, nous avions une certitude : un monde divisé en deux camps ; avec d’un côté la démocratie libérale et de l’autre la république populaire communiste, chacun incarnant le remède face à une menace de contamination (idéologique) mondiale.
La propagation du COVID-19 a poussé les gouvernements à prescrire des mesures de confinement qui ont fait voler en éclats nos certitudes et nos convictions.
L’Union européenne (dont le principal mérite est d’avoir maintenu la paix sur le continent depuis la seconde guerre mondiale) a montré, en oubliant l’Italie, qu’elle n’était plus que l’ombre d’elle-même, atteinte d’une maladie auto-immune qui ronge sa solidarité.
Les leçons du confinement
A l’échelon en dessous de l’Europe, le célèbre adage « gouverner c’est prévoir » a complètement été ignoré par plusieurs états qui ont fait montre d’une impréparation et de prises de décisions hasardeuses ajoutant à la crise sanitaire déjà en marche, une crise de confiance des populations inquiètes à juste titre : la pénurie de masques, de tests de dépistage, d’appareils respiratoires et de lits d’hôpitaux dès les premiers jours de la pandémie en a été la plus pathétique illustration.
De l’autre côté de l’Atlantique, où la distanciation sociale prend un tout autre sens qu’une simple mesure d’éloignement physique, le concept de classes a démontré de façon violente les limites du système. La population noire meurt plus massivement du coronavirus. Pas pour des raisons biologiques mais à cause des inégalités sociales. De nombreux américains, abandonnés par l’état, sans couverture sociale suffisante, n’ont pas d’autre choix pour survivre que de continuer à travailler …et à contaminer.
En Belgique, les politiques ont été rattrapés par la complexité institutionnelle d’un pays où les disparités du nord au sud ont entrainé l’incapacité de former un gouvernement fédéral laissant à la nation le malheureux record du nombre de ministres en charge de la Santé, la triste première place du podium des taux de mortalité du Covid-19 par le nombre d’habitants et l’intime conviction que la politique ne nourrit que les politiciens.
Dans notre monde ultra-connecté, à la pointe de la technologie, le COVID-19 est venu hacker tout notre système économique sans qu’aucun anti-virus ne puisse le stopper, sans qu’aucun pare-feu ne le bloque aux frontières. A ceux qui plaident pour la nécessité absolue d’enseigner le codage dans les écoles, le coronavirus leur rappelle qu’il importe de privilégier l’humain avant l’algorithme notamment en replaçant les sciences naturelles au coeur des apprentissages. Parce que dans une société où nous pensions frôler les sommets de la connaissance scientifique, nous avons soudainement réalisé que nous n’étions pas omniscients. Nous avons réalisé que la nature gardait encore bien des secrets qui nous échappaient et qu’il n’y avait, comme l’a souligné Ivan De Vadder, journaliste à la VRT, pas d’experts du coronavirus.
Le calme imposé par la situation, nous a permis de voir et d’entendre à nouveau les manifestations de la nature qui reprenait ses droits. Elle ne les avait jamais perdus à vrai dire, nous avions seulement oublié les liens qui nous unissaient avec elle.
Des experts (de quoi ?) autoproclamés se sont d’ailleurs illustrés par leurs théories fumeuses pour expliquer ce qui leur échappait évoquant le complot, responsable de la création d’un virus en laboratoire, pendant que d’autres y voyaient le premier fléau, signe d’un châtiment divin, destiné à punir l’humanité, ignorant sans doute que la nature elle-même recelait quantité de virus emprisonnés dans l’écorce des arbres ou dans la calotte glacière.
En matière d’éducation, le confinement a fait naître une accélération de l’enseignement numérique, mettant l’école face à un défi de taille : poursuivre les apprentissages sans venir en classe. Pour certains étudiants, la situation n’a fait que souligner une fois de plus la dualité scolaire que produit le manque de matériel (ordinateur, internet, bureau), le manque d’environnement propice au travail ou les difficultés à s’organiser seul sans encadrement et sans le soutien d’un adulte.
Conscients de la nécessité de maintenir une continuité pédagogique malgré le confinement, les enseignants ont démontré tout leur talent à imaginer de nouvelles méthodes d’apprentissage et à se réinventer à travers de nouveaux outils soulignant ainsi toute la valeur d’un métier trop souvent laissé pour compte.
A ce même titre, le personnel des métiers de la santé, salués comme des héros aujourd’hui, se sont engagés par vocation, en dépit des manques, dans leur quotidien qui consiste à sauver des vies, au péril de la leur, même quand la situation semble désespérée. Et même s’ils se garderont tous d’être considérés comme les héros de cette crise, ils auront au moins permis une prise de conscience collective sur l’importance fondamentale de leurs métiers dans une société moderne et démocratique.
Enfin, il y a toute une réflexion philosophique sur l'arrêt à envisager. Jusqu’ici notre monde ultraconnecté, en activité constante, ne s’était jamais arrêté de tourner. Ce moment de pause ordonné par le confinement nous a obligé à nous réorganiser. Combien de familles, depuis le début de la crise, ont appris à repenser leur espace, à redéployer le temps passé ensemble et à trouver un équilibre sain et fécond au quotidien ?
Au moment où l’on amorce la sortie du confinement et que l’on discute d’un retour à l’école pour nos jeunes, n’est-il pas temps de tirer les leçons des dernières semaines pour penser au « monde d’après » qui ne devra pas n’être qu’un simple retour au business as usual. Il s’est passé trop de choses pour que tout revienne comme avant.
Ce monde d’après, il faut le construire dès maintenant pour que la génération qui sera aux manettes demain soit plus inspirée que celle d’aujourd’hui.
Maurice Johnson-Kanyonga
Révolutionner la façon de penser l’Education
Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
Il y a 3 contenus
|
|