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Peut-on encore réussir sans diplôme ?


Peut-on encore réussir sans diplôme ?

Peut-on encore réussir sans diplôme ?

Par Maurice Johnson-Kanyonga, expert en Education – Le Labo


Avec le mois de Décembre et l’hiver qui s’installe doucement, le temps est aux examens de Noël pour les élèves du secondaire et à l’entrée en période de blocus pour ceux de l’enseignement supérieur. Les examens, cette période cruciale pendant laquelle les établissements scolaires organisent des épreuves de synthèse destinées à évaluer les acquis et les compétences de leurs étudiants et qui débouchent, en bout de course, sur l’obtention de ce Saint Graal tant convoité, cet objet de toutes les attentions : le diplôme.

Terreau de plus en plus d’inégalités, l’école peine à traduire le vœu d’égalité des chances aujourd’hui. Les voix s’élèvent pour dire que le diplôme n’est plus nécessairement un passeport pour gravir l’échelle sociale. La complexité accrue, les mutations du marché du travail et les exigences qui en découlent entraîne un paradoxe où les diplômes sont de moins en moins suffisants mais de plus en plus indispensables.


A 6 ou 7 ans, ce bout de papier ne signifie rien…

Quand un enfant rentre en première année primaire, il sait qu’il va apprendre un tas de choses intéressantes comme la lecture, la composition du corps humain, le fonctionnement du système solaire ou le calcul mental, qui dans les années qui suivront son parcours deviendront des matières plus complexes destinées à développer son potentiel en tant qu’individu. Aux plaisirs de la découverte, de l’expérimentation et de l’apprentissage qui font que les enfants adorent l’école se succèderont les premières épreuves cruciales comme le CEB et le CE1D pour poursuivre jusqu’aux CESS …Master, DEA, PhD, … la liste est parfois longue mais jamais exhaustive.

Le diplôme… professeurs, éducateurs, parents, et même les voisins le répètent inlassablement, c’est important ! Tout le monde le sait…

Pourtant en Belgique; 9,8% des jeunes entre 18 et 24 ans ne possèdent pas de diplôme du secondaire supérieur et ne suivent aucune formation selon les données e l’Université de Liège, soit 1 jeune sur 10 pour lesquels un vocable spécifiant le besoin a été spécialement créé pour identifier ceux que l’on appelle les NEET pour not in education, employment or training (sans scolarité, emploi ou formation, ndr).

Bruxelles, la capitale, fait même figure de cancre avec 1 jeune sur 6 alors que les objectifs de l’Union européenne visent un chiffre en-dessous de 10% pour tous les états membres qui totalisent 14 millions de NEET de 15 à 24 ans dont 60% sont considérés au chômage…


Dis-moi quel est ton diplôme et je te dirai à quelle vie tu auras droit.

En Belgique, on a souvent l'impression de jouer très tôt son avenir, pourtant beaucoup de jeunes sous-estiment l’importance d’obtenir leur diplôme et doutent de l’utilité de se doter d’une qualification professionnelle ou technique reconnue.

Vaut-il réellement la peine pour un jeune, de faire des efforts et de persévérer dans ses études pour préparer son avenir quand il entend autour de lui que l’horizon est bouché, que des masses de diplômés ne trouvent pas d’emploi, que demain sera pire qu’aujourd’hui et que nos enfants vivront plus mal que nous ?

Quels arguments réalistes des parents peuvent encore fournir à un jeune pour le convaincre de faire des efforts et de persévérer jusqu’à l’obtention de son diplôme?

Les études réalisées sur le lien existant entre le chômage et le diplôme en arrivent toutes aux mêmes conclusions : les taux de chômage diminuent lorsque l’on détient un diplôme qualifiant pour le marché du travail.

Les personnes sans diplôme de l’enseignement secondaire sont les premières victimes du ralentissement économique, à plus forte raison quand elles sont jeunes. À l’opposé, les taux de chômage sont en baisse pour les diplômés en formation professionnelle au secondaire ou en formation technique tout comme les étudiants universitaires.

Longtemps, les clichés ont eu la vie dure avec les métiers techniques, faussement considérés comme moins valorisant et moins épanouissant que les métiers à caractère intellectuel et dès lors relégués aux élèves jugés moins aptes à suivre que d’autres. Ces métiers ont été négligés alors qu’aujourd’hui la demande de main-d’œuvre technique est difficile à trouver dans des secteurs comme ceux du froid ou de l’automation dont les patrons s’en vont recruter à l’étranger même si les diplômes de ces nouveaux arrivants ne sont pas …reconnus en Belgique.

L’offre de formation est aujourd’hui extrêmement élevée, avec la multiplication des filières, des écoles et des universités, désormais en concurrence à l’échelle internationale ; il semble donc de plus en plus difficile pour les personnes sans diplômes de trouver un emploi face à la concurrence de jeunes diplômés.

Pourtant, plusieurs jeunes sortent chaque année du système scolaire sans diplôme, et jusqu’à 30% des non diplômés sont toujours au chômage 3 ans après l’avoir quitté.

Les non-diplômés sont les premiers à travailler en interim et en CDD, avec un salaire dépassant rarement le minimum légal (1.562,59 EUR pour le salaire interprofessionnel brut, soit 9,65 EUR brut/heure).


Pas de diplôme mais du talent et de l’audace

Sur un marché du travail où les recruteurs sont pour la plupart intéressés par des profils hautement qualifiés, on est en droit de se demander si on peut réussir dans le monde professionnel sans diplôme.

Albert Einstein, Gérard Depardieu, Alain Afflelou, Olivier Dachkin, Pierre Marcolini, Mark Zuckerberg ou encore Steve Jobs sont de ceux qui considèrent que la réussite n’est pas quelque chose qu’on apprend sur les bancs de l’école. Convaincus que ce n’était pas l’école qui déciderait de leurs capacités, ces autodidactes ont choisi de concrétiser leur rêve. Préférant l’école de la vie, ils ont vu dans le diplôme rien d’autre qu’un morceau de papier qui justifie un apprentissage dans le meilleur des cas… la présence à un examen dans le moins bon. 

Les autodidactes sont applaudis pour leur réussite mais ne sont pas toujours les bienvenus dans un pays où le conservatisme et la norme font office de culture.

De ce fait, la Belgique reste un pays où le diplôme est sacralisé ; véritable clé d’entrée vers l’emploi et facteur d’ascension sociale, il suffit d’un DRH (ndr : Directeur des ressources humaines, en charge du recrutement) qui ne jure que par le diplôme pour que la porte de l’entreprise, à laquelle un candidat motivé postule, reste fermée.

Néanmoins, tous les employeurs ne restent pas forcément focalisés sur le diplôme. Certains préfèrent d’ailleurs privilégier des compétences plus personnelles qui s’acquièrent par la pratique, l’expérience ou l’audace. De nombreux métiers nécessitent un savoir-faire qui ne s’apprend pas spécialement dans les auditoires. Les qualités intrinsèques d’un individu peuvent faire la différence sur le marché du travail. Celles que l’on appelle les soft skills, ces compétences particulières comme la négociation, la prise de décision, la communication, la créativité ou la gestion des équipes sont prisées et recherchées.

L’expérience acquise représente également une denrée très appréciée des employeurs bien que pour des fonctions à responsabilités élevées ou nécessitant des compétences techniques de pointe comme dans la finance ou l’électronique, la formation reste une nécessité absolue.

Certaines professions répondant à un code de déontologie précis comme celle d’avocat ou requérant un accès à la profession comme électricien, par exemple ne peuvent s’envisager autrement que par le suivi d’un cursus et l’obtention d’un diplôme.


Uber m’a tuer

Dans un monde qui change à une vitesse effrénée, les entreprises disruptives, celles qui bousculent les codes, prennent le pas dans de nombreux secteurs, du transport de personnes à la gestion de la comptabilité en passant par les séjours d’hôtel ou la livraison de repas.

Les sociologues françaises Sarah Abdelnour et Sophie Bernard identifient l’entreprise américaine Uber comme le symbole de l’émergence de ce qu’elles appellent un capitalisme de plateforme (internet) qui bouscule autant l’organisation collective du travail que ses formes, notamment par le recours à une main-d’œuvre externalisée indépendante dont les conditions précaires sont souvent évoquées.

Progrès techniques et digitalisation aidant, ces entreprises d’un genre nouveau modifient le monde du travail là où l’intelligence artificielle fait planer son lot d’incertitudes quant au futur de certaines fonctions pour lesquelles la main-d’œuvre humaine deviendrait obsolète dans les années à venir. Certains emplois, on parle d’un sur deux, seraient menacés par la robotisation …mais néanmoins compensés par la naissance de nouveaux métiers « pas encore existant Â» pour utiliser le vocabulaire des spécialistes en la matière.

Pendant tout le XXème siècle, la théorie de la destruction créatrice émise par Joseph Schumpeter qui stipule que le progrès technique détruit des emplois pour en créer de nouveaux, plus qualifiés et mieux rémunérés à été portée au pinacle. Ainsi l’ouvrier manutentionnaire est remplacé par un robot qui accroît la productivité du travail et dans le même temps l’ouvrier devient un technicien qualifié avec un meilleur salaire.

Mais aujourd’hui, il semble que cette dynamique ait pris fin : les emplois qui disparaissent sont remplacés par du travail moins sophistiqué, moins productif et moins rémunérateur.

Comme le souligne l’économiste français Patrick Artus, le problème n’est pas tant la destruction d’emplois mais plutôt la qualité des nouveaux emplois qui remplacent (déjà) et remplaceront les anciens. Les plateformes virtuelles remplacent les technico-commerciaux, les logiciels intelligents se substituent aux comptables qui se tournent alors vers des jobs d’exécution dans l’horeca ou dans la livraison. Plus surprenant encore, ces emplois peu qualifiés, généralement réservés aux jeunes infra-qualifiés, sont maintenant squattés par des jeunes diplômés résignés qui ne trouvent rien d’autre !

La société en constante évolution exige de plus en plus des profils hautement qualifiés, capables d’influer directement sur les résultats d’une entreprise, dans le même temps, les emplois intermédiaires d’exécution sont remplacés par des machines pendant que la durée des études s’allonge pour répondre aux besoins du marché. La conséquence en est que de nombreux jeunes qualifiés sont obligés de se rabattre sur des emplois de services basiques très peu épanouissant et souvent mal rémunérés.


Teeqzy, 17 ans 150.000 $ par an… Ophélie, 10.000 EUR pour une vidéo sur Instagram

Alors que certains annoncent la disparition de centaines de métiers et fonctions du fait de la digitalisation, d’autres semblent surfer sur la vague et réinventent le travail, définissant ainsi des modes de vie nouveaux.

Le jeune belge, Klaivert Dervishi, mieux connu sous le pseudonyme de Teeqzy est un champion de jeux vidéo qui a gagné en 2017 l’équivalant de 140.000,00 EUR en participant à des tournois du célèbre jeu Fortnite.

Ophélie t’Serstevens, est ce que l’on appelle une influenceuse en vogue sur les réseaux sociaux. Identifiée sous le nom de Simple Symphony sur Instragram, Ophélie cumule 1 million d’abonnés auxquels elle dispense des conseils beauté en étant rémunérée par de grandes marques auxquelles elle prête son image. Fière d’être autodidacte, la bloggeuse avoue qu’elle gagne entre 3.000 et 5.000 EUR pour une photo sponsorisée et qu’une vidéo peut se monnayer jusqu’à 10.000 EUR.

Plusieurs Youtubers sont ainsi parvenus à se distinguer grâce au contenu de leurs vidéos postées en ligne traitant de cuisine, de tutoriels maquillage ou même de jeux vidéos. Les gamers comme on les appelle dans le jargon ont d’ailleurs le vent en poupe, certains ayant même plus de succès que des sites professionnels consacrés au sujet poussant ainsi les éditeurs de jeu à payer parfois jusqu’à 20.000,00 EUR pour qu’un gamer parle de l’un de leurs jeux sur sa chaîne Youtube.


Apprendre à coder, la nouvelle mode ?

L’Ecole 19, inspirée de l’Ecole 42 de Paris, initiative crée par Xavier Niels fondateur de Free, l’opérateur télécom français ; a ouvert ses portes à Bruxelles en septembre dernier. Le principe : une école, sans prof, sans horaire, sans programme spécifique (entendons scolaire) mais un apprentissage autodidacte, par projets, collaboratif ou non avec comme finalité de former des spécialistes du codage, le langage d’internet.

Be Code ou MolenGeek pour en citer d’autres sont aussi de ces initiatives qui proposent de former des apprentis développeurs à la programmation sans qu’il soit nécessaire pour eux de posséder un quelconque bagage à l’entrée de la formation qui promet un job dès la sortie.

Selon une étude établie par LinkedIn, le réseau social professionnel, rien que sur le marché belge, il pourrait manquer 30.000 personnes dans les métiers de l’internet et du numérique d’ici 2020…

Même si ces initiatives innovantes sont séduisantes, il faudra un temps d’évaluation pour en mesurer la pertinence. Coder et développer des projets informatiques requiert généralement des connaissances pointues en Mathématiques appliquées qui ne sont pas nécessairement l’apanage de jeunes gens, certes très motivés, mais sans bagage scientifique requis. Ces derniers mois, certains se sont d’ailleurs élevés insistant pour que le code fasse irruption dans les programmes scolaires et que les jeunes écoliers puissent apprendre très tôt les langages informatiques.


Quoi apprendre alors ?

Les scientifiques annoncent qu’à l’horizon 2030, le cerveau humain sera concurrencé par l’intelligence artificielle !

Les ordinateurs s’annoncent des milliers de fois plus puissants que les cerveaux des élèves, si bien préparés qu’ils soient, et beaucoup moins chers. Certains allant jusqu’à prédire que même les managers seront remplacés par des algorithmes intelligents capables de prendre des décisions de gestion stratégique en entreprise.

Face à l’intelligence artificielle qui promet de transformer le monde du travail, une voie annexe semblerait séduire plusieurs spécialistes. Le docteur Laurent Alexandre, auteur de La guerre des intelligences plaide lui pour la voie de la culture générale et de l’esprit critique dont la machine est parfaitement incapable de reproduire. L’esprit d’entreprise et la débrouillardise dans un monde où de nouveaux acteurs sont capables de chambouler un marché avec une stratégie disruptive. La créativité doit être favorisée notamment par une multitude d’activités variées qui requiert un appel aux émotions et à l’imagination comme le bricolage, des activités à fort potentiel créatif pour combattre l’ennui et la passivité dont sont parfois victimes les enfants comme le souligne la psychologue américaine Teresa Belton : lorsque des enfants n'ont rien à faire, ils allument la télévision, l’ordinateur ou la tablette ou tout autre écran. Au-delà de ça, les générations seront également amenées à l’auto-apprentissage, à se former soi-même tout au long de sa vie ce qui signifie qu’il faudra investir dans les méthodologies d’apprentissage qui font défaut aujourd’hui dans les écoles.

L’école a le devoir de former des jeunes capables d’être multidisciplinaires dans leurs humanités. Pour cela, elle devra éviter le découpage des tâches et des savoirs, prôner la réflexion globale. Certaines filières emmènent les jeunes vers des apprentissages de plus en plus techniques. Or, dans ce domaine, l’intelligence artificielle surpasse le cerveau humain. Là où l’Homme restera dominant, c’est, d’une part, dans sa connaissance de la culture, particulière et générale et, d’autre part, dans le développement de sa personnalité. Cette liberté de penser, qu’aucune machine ne possède, permettra l’émancipation et l’épanouissement de tout un chacun. L’école donc doit continuer à aller là où l’intelligence artificielle ne dépasse pas le cerveau humain.

L’eldorado ne s’apparente pas nécessairement aux spécialisations hyper pointues ou aux compétences techniques, l’idée est d’éviter les apprentissages trop techniques pour redécouvrir et développer toujours plus l’esprit critique et la créativité à l’heure où les gilets jaunes descendent dans les rues pour crier leur désarroi face au recul du pouvoir d’achat. L’inquiétude est palpable, la peur du déclassement social incite les parents à pousser leurs enfants à entreprendre des études …susceptibles d’offrir un bon job à leur progéniture, un job bien rémunéré.


auteur : MJK


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15 Apr 2020
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